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LA THÉRAPIE D'ANNA, HYPERPHAGIQUE

Anna*. 28 ans. Adjointe administrative. En couple depuis 3 ans.

 

Anna est une femme grande à la corpulence arrondie et aux proportions équilibrées. Ses habits « stretch » et sportifs marquent ses courbes féminines et enrobées. Les contours du visage sont nets à tendance ovale, sa peau couleur ivoire est sans maquillage et bien soignée. Ses cheveux noirs sont longs, lisses et soyeux. Fille unique, elle travaille depuis la fin de ses études dans le service administratif d’une haute école en tant qu’adjointe. Le contact avec ses collègues est amical, Anna est une personne apparemment joviale qui aime apporter une touche amusante et drôle dans ses échanges avec les autres. Ses collègues voient en elle une personne heureuse, drôle, toujours souriante et disponible, bien dans sa peau. Elle aimerait sortir plus avec eux et profiter de relations plus profondes mais elle craint de ne pas réussir à être à leur hauteur et de ne pas être assez bien pour eux. Elle a beaucoup de travail, son caractère perfectionniste lui laisse peu de temps pour se consacrer à ses loisirs. Elle vit avec son compagnon depuis 3 ans dans un appartement situé dans la périphérie de la ville.

 

Une biographie: hyperphagique depuis l’adolescence.

Lors de la première séance, elle m’explique qu’elle ne va pas bien, qu’elle est toujours à fleur de peau. Elle n’arrive plus à contenir les émotions qui la submergent très vite. Elle éclate en pleurs et se confie : « je n’arrive pas à perdre du poids ! Je suis grosse, je n’en peux plus de mon corps et des remarques sur ma personne ». Quand elle est plus mince, dit-elle, tout va bien. Quand elle est mince, elle retrouve la confiance en elle. Elle me répète et avec un certain ton de revendication « je viens chez vous parce que je dois perdre du poids pour aller mieux ».

J’attends d’en savoir plus sur sa vie avant de préciser une hypothèse de travail.

 

Comment mange-t-elle ? Comment se produisent ses crises alimentaires ? J’attends patiemment qu’elle m’en parle en premier, j’évite de m’attaquer directement à son symptôme car ceci signifierait m’écarter des dynamiques qui le nourrissent. Je m’occupe d’elle, pas de son symptôme. Anna justifie sa profonde détresse par sa prise de poids, l’unique vrai souci qui fait que tous les autres aspects de sa vie en pâtissent. A l’inverse, je pense qu’elle perdra du poids quand elle ira mieux.

 

Je lui demande depuis quand elle souffre de cette prise de poids. Elle répond qu’elle a développé des formes féminines et rondes plus tôt par rapport aux autres filles vers l’âge de 11 ou 12 ans, alors que les autres étaient encore des « enfants ». Ses camarades se moquaient d’elle et par la suite elle allait donc séparer le monde en deux : d’un côté elle, de l’autre les filles jolies et « populaires » qui ne l’intégraient pas.

 

Dès l’adolescence, sa mère lui proposa donc un suivi avec une diététicienne qui lui prépara un plan alimentaire qu’elle devait appliquer à la lettre pendant de nombreuses années afin qu’elle perde du poids. Anna me confie qu’elle avait notamment l’interdiction d’accéder à un tiroir « magique » de la cuisine où se trouvaient les friandises. Elle commença à y « voler » des paquets de biscuits choisissant ceux rangés tout au fond pour que sa mère ne remarque pas leur disparition. Anna était sure qu’elle pourrait ainsi cacher ses festins alimentaires.

Mais sa mère trouvait souvent les emballages vides qu’Anna enfonçait au fond de la poubelle de sa chambre et les exposait sur la table de la cuisine pour la sermonner. Mais Anna était réellement impuissante face à ses envies de nourriture.

 

Les premiers temps de la thérapie: la nourriture dans le cercle familial

Surveillant l’alimentation de la fille depuis son plus jeune âge, sa mère voulait qu’Anna adopte son style alimentaire. Anna me confie qu’elle ne pouvait pas manger de « bonnes choses » comme elle le dit : fritures, pâtisseries, desserts, elle pleure en se remémorant toutes les fêtes d’anniversaire où sa mère diminuait sa part de gâteau « pour son bien ». Pour elle, ses parents et particulièrement sa mère ont été irréprochables car tout partait d’une bonne intention, ces régimes ont été fait pour son bien.

 

Adepte de jogging et de régimes alimentaires light sa mère estime toujours qu’Anna est grosse. Elle lui adresse de nombreux reproches tels que « maintenant tu dois perdre du poids, tu dois faire quelque chose, comme ça tu n’es pas jolie, tu dois faire des efforts, ça ne va pas plus ».

 

Quand Anna tente de se rebeller, sa mère lui renvoie : « tu nous dois du respect, la famille est sacrée, nous faisons tout pour toi, nous ne méritons pas ça, c’est comme ça que tu nous remercies ?"

 

Dans les rares moments de temps libre, ses pulsions alimentaires l’amenèrent à manger des plaques entières de chocolat et à ouvrir sans cesse le frigo et mange des « bonnes choses » avec ou sans son copain, elle s’offre de grands paquets de chips devant un film. Elle dit s’accorder le temps nécessaire pour profiter de tout ce qu’elle avale, elle ne se fait pas vomir. Elle souhaiterait reprendre le sport mais un état de démotivation générale la paralyse chez elle après le travail, le sentiment d’ennui augmente ses pulsions.

 

Les premiers temps de la thérapie : établissement d'une relation thérapeutique

Devant une mère contrôlante et narcissique, Anna s’efface. Elle s’éloigne de ses propres émotions et intériorise le sentiment d’être toujours une « mauvaise fille ». La petite fille qu’elle est encore se pense responsable de n’avoir pas fait assez d’effort, de n’être pas assez bien pour ses parents. Être validée par eux est essentiel, raison pour laquelle elles les idéalise.

 

Les crises hyperphagiques permettent donc à Anna une forme de libération : « les bonnes choses » qu’elle s’offre et ingurgite sont pour elle un puissant médicament capable d’étouffer son anxiété et d’anesthésier son important sentiment d’inadéquation. Elles lui permettent une sorte d’évasion qu’elle ne peut pas vivre ailleurs, un lieu où elle peut transgresser les limites et jouer sa revanche, son auto-affirmation.

 

Une relation thérapeutique de soutien devait aider Anna à conscientiser ses liens de dépendance (pas seulement envers les parents) et l’accompagner dans un chemin d’émancipation à travers la coupure progressive d’un « cordon ombilical » symbolique.

Anna se rend régulièrement aux séances hebdomadaires, elle est toujours à l’heure.

Elle parle d’elle-même en adoptant une tonalité et des termes auto-dépréciatifs, comme si elle méritait d’être grondée. Par contre, elle tolère la frustration ressentie lors de l’ouverture des chapitres douloureux de sa vie ou qu’elle pensait avoir déjà « réglés », comme elle dit.

Le thème des relations parentales qu’elle chérit avec tendresse se révèle décidément important : avec un père plutôt effacé et une mère aux exigences strictes et autoritaires, Anna ne parvient pas à ne pas satisfaire la demande de reconnaissance de ses parents ni à préserver des espaces psychiques à elle. Chaque prise de distance lui provoquait une terrible sensation de culpabilité, elle était triste à l’idée que sa mère n’avait pas de copines à part elle qui était sa seule confidente.

 

Elle dit « je sais que si j’ai un problème je peux me tourner vers mes parents, mais ils ne supportent pas lorsque je dis des choses qui les concernent. Quand j’étais petite, ce n’était pas toujours simple avec eux, mais il y a toujours eu beaucoup d’amour entre nous. Même s’ils me font souffrir (elle rigole) je n’ai jamais eu de problèmes à la maison, ça ne se passait pas trop mal ».

 

Le deuxième temps de la thérapie

Elle n’entend pas les contradictions internes de sa narration. Le privilège d’être l’intime confidente et amie de sa mère interdisait manifestement l’expression de sa colère face aux critiques et remarques incessantes qu’elle encaissait. Elle s’infligeait ainsi une importante autocensure en évitant de se livrer à ses parents. Elle les ménageait à la fois consciemment et inconsciemment pour éviter d’être une personne blessante (vu qu’ils font tout pour son bien). La thérapie lui sert à verbaliser son épuisement et son manque de temps engendrés par les nombreuses demandes et exigences de ses parents. Tout en vivant sa vie avec son compagnon, elle se rendait chez eux trois fois par semaine pour le repas de midi.

 

Même si une partie d’elle n’en avait pas envie, elle se sentait obligée d’accepter ces repas car «ils font ça avec amour pour son bien», ils lui préparent des menus équilibrés «qui ne font pas grossir». Un refus de sa part impliquait une incompréhension qui la renverrait à l’insupportable sensation d’être une fille ingrate. Elle ne peut pas dire non, quelque chose d’indigeste se produit quand elle se trouve devant sa propre position, son propre désir.

 

Anna parle sans cesse, elle occupe toute la place lors des séances. Il faut presque la couper pour pouvoir parler. Elle me met à distance sans le savoir. Je sais qu’une des conditions de la thérapie dépend de la possibilité d’établir un lien entre nous.  Va-t-elle être en mesure de se laisser rejoindre par moi ou va-t-elle me ressentir comme « envahissante » dans son psychisme ?

 

Les fruits de la thérapie

Grâce à une thérapie de deux ans, au rythme d’une séance par semaine, Anna peut désormais s’accorder plus de liberté dans ses choix de vie en composant mieux avec ses élans vitaux qui étaient jusque-là étouffés pour satisfaire les autres. Elle a maigri et a quitté son compagnon. Elle a aussi quitté son travail et démarré une nouvelle formation. En sortant de sa position d’« objet », ses pulsions circulent simplement mieux et s’allègent dans la parole et dans ses autodéterminations.

 

Elle continue son analyse afin de permettre l’élaboration des récents changements de vie enclenchés par ce grand travail d’introspection.

 

*Anna est un prénom de substitution

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